BRUXELLES — Jusqu’à quel point la nouvelle équipe de commissaires espérant travailler pour Ursula von der Leyen est-elle irréprochable ?
La commission des Affaires juridiques du Parlement européen, connue sous le nom de JURI, examine les déclarations d’intérêts de tous les dirigeants de l’UE pour le savoir.
Lors d’une réunion décisive qui se tiendra jeudi, ses législateurs débattront de la question de savoir si les 26 commissaires potentiels sont aptes à exercer leurs fonctions en toute indépendance (la présidente, Ursula von der Leyen, ne participe pas au processus de sélection).
Bien qu’aucun des 26 commissaires n’ait donné suite à une demande de partage de leurs déclarations, POLITICO se les a toutes procurées et les a passées au peigne fin, à la recherche des détails les plus intéressants.
Rien n’indique que quiconque ait fait quoi que ce soit d’illégal, mais certains détails ont attiré notre attention lorsque nous avons examiné les déclarations, notamment le vaste portefeuille immobilier du candidat grec et les cabinets de conseil des candidats slovène et portugais.
Le processus
La commission JURI dispose d’un réel pouvoir, puisqu’elle peut rejeter une candidature en cas de conflit d’intérêts majeur. Mais ses membres n’ont eu que trois jours avant la réunion de jeudi pour examiner les centaines de pages de déclarations fournies par les commissaires eux-mêmes, dans le cadre d’un processus si opaque qu’il ne laisse guère de marge pour entrer dans les détails. Une deuxième réunion pour poursuivre les discussions est prévue dans les deux prochaines semaines.
En théorie, les déclarations doivent inclure, par exemple, des informations sur les dix dernières années concernant les anciens employeurs, des détails sur les parts dans des sociétés et autres actifs, et l’engagement dans des think tanks, des partis politiques ou des ONG. Les déclarations s’appliquent également aux conjoints et aux enfants (mais pas aux autres membres de la famille). Les règles sont assez souples, car les commissaires peuvent choisir de ne pas remplir certaines réponses s’ils estiment qu’il n’y a pas de conflit d’intérêts.
C’est à chaque eurodéputé qu’il revient d’aller au-delà de ce qui est écrit et de faire des recherches supplémentaires. S’ils peuvent rechercher des informations accessibles au public, demander des précisions aux candidats, voire les convoquer pour les interroger, les membres de la JURI n’ont pas le pouvoir d’enquêter de manière approfondie.
La politique parlementaire influe également sur ce qui peut constituer un conflit d’intérêts : certains groupes politiques décident de ne pas soulever de questions au sujet d’un commissaire d’un groupe d’opposition en échange d’un laissez-passer pour le commissaire de leur propre groupe. Les négociations ne sont pas publiques et les déclarations sont gardées secrètes pendant toute la durée du processus.
“Il s’agit d’un processus profondément défectueux, dépourvu de transparence, où les règles empêchent un examen sérieux de ces déclarations”, pointe Nicholas Aiossa, directeur de Transparency International Europe.
Voici quelques trouvailles intéressantes…
Commissaires-bailleurs
Le Grec Apóstolos Tzitzikóstas possède la liste de biens immobiliers la plus impressionnante, avec quatre pages de sa déclaration détaillant sa propriété partielle ou totale de 16 appartements, 655 463 mètres carrés de terrain, six magasins, ainsi que plusieurs garages et espaces de stockage dans toute la Grèce. Les Tzitzikóstas font partie des plus grands propriétaires fonciers du pays, dont la possession de terres remonte à plusieurs siècles, selon une source grecque à qui l’on a garanti l’anonymat pour qu’elle puisse s’exprimer librement. Cette famille est l’une des plus riches du nord de la Grèce.
Le portefeuille de Tzitzikóstas comprendra le secteur du tourisme, ce qui soulève des questions sur les décisions qu’il pourrait prendre et qui pourraient affecter la valeur de ses propriétés, estime un eurodéputé qui a eu accès à la déclaration et à qui l’on a accordé l’anonymat pour qu’il puisse s’exprimer librement. L’homme politique grec, qui déclare également posséder plus de 200 000 euros d’actions dans diverses entreprises (des produits laitiers à l’énergie photovoltaïque), a également reçu un financement de la politique agricole commune de l’Europe pour l’une de ses fermes, d’une valeur de 18 116,30 euros. Au moment de la publication, Apóstolos Tzitzikóstas n’avait pas répondu à notre demande de commentaire.
L’Italien Raffaele Fitto a déclaré être propriétaire de sept appartements et détenir des parts dans trois autres. Ses biens immobiliers, tous situés en Italie, comprennent également des terrains, deux garages et une cave. Ce membre du parti d’extrême droite de Giorgia Meloni, qui a fait carrière dans le secteur public, devrait prendre en charge le portefeuille de la Cohésion et des Réformes. Il déclare également posséder 15% d’une pharmacie à Brindisi, dans le sud de l’Italie, dont la valeur est estimée — par Fitto lui-même — à 150 000 euros. Au moment de la publication, Raffaele Fitto n’avait pas répondu à une demande de commentaire.
La candidate bulgare à la Commission, Ekaterina Zaharieva, s’est apparemment constitué une fortune immobilière, elle aussi. En 2008, elle a acheté un terrain de 6 850 mètres carrés comprenant une maison de vacances sur la péninsule grecque de Halkidiki, ainsi qu’un appartement à Sofia, la capitale de son pays. Entre 2016 et 2018, Zaharieva a acheté deux autres maisons et terrains en Bulgarie. Au moment de la publication, Ekaterina Zaharieva n’avait pas répondu à une demande de commentaire.
Quant à la Slovène Marta Kos, elle a déclaré environ 1 million d’euros sur des comptes d’épargne.
Rien à déclarer
D’autres aspirants commissaires pourraient aussi avoir des fortunes, mais beaucoup d’entre eux n’ont pas donné de détails sur leur patrimoine. L’actuel commissaire Valdis Dombrovskis, par exemple, a laissé un formulaire presque vide.
Dans une déclaration, le Letton a rétorqué à POLITICO : “Mes déclarations d’intérêts sont publiques depuis dix ans maintenant et sont complétées en conformité avec les règles applicables […] Cela fait déjà dix ans que je sers en tant que membre de la Commission européenne, il ne reste donc plus beaucoup d’activités passées à déclarer.”
Il a ajouté : “J’ai pris la décision délibérée de ne pas investir dans des actions ou des obligations d’entreprises ou des instruments similaires, afin d’éviter toute perception d’un éventuel conflit d’intérêts, et je n’ai pas non plus exercé d’activité commerciale.”
Le but de détailler son patrimoine est de montrer si un responsable politique a accru sa fortune en dehors de son salaire au cours de son mandat. Il s’agit également de garantir une bonne gouvernance en évitant que le public ne soupçonne qu’une décision n’a pas été prise dans l’intérêt général.
Les traités de l’UE disposent que les membres de la Commission “s’abstiennent de tout acte incompatible avec leurs fonctions” et donc de toute autre activité professionnelle pendant la durée de leur mandat. Pour s’en assurer, la déclaration d’intérêts est censée comporter de nombreux détails afin de garantir qu’un commissaire ne puisse pas travailler sur certaines questions en cas de conflit. Dans la pratique, aucun commissaire ne remplit toutes les cases de sa déclaration.
Lorsqu’il était député européen de Renew, Stéphane Séjourné, désormais commissaire-candidat français à la Prospérité et à la Compétitivité, faisait partie de ceux qui plaidaient pour la création d’un régulateur européen chargé d’examiner minutieusement les déclarations des responsables politiques et de défendre la transparence. Cependant, ses propres déclarations ne donnent aucune indication sur ses actifs et ses dettes. Au moment de la publication, Stéphane Séjourné n’avait pas répondu à une demande de commentaire.
Il en va de même pour le Slovaque Maroš Šefčovič, à qui von der Leyen a demandé de réviser le registre de transparence de l’UE, mais qui fait également partie de ceux qui ont fourni peu de détails dans leur déclaration. Šefčovič a été sollicité pour un commentaire.
L’Estonienne Kaja Kallas déclare seulement avoir des comptes bancaires et des économies. La section relative aux intérêts financiers des conjoints ou partenaires est restée vide, malgré une controverse en 2023 sur la détention par son mari d’actions dans une entreprise ayant des liens avec la Russie. Cependant, elle détaille plus loin ses positions dans quatre sociétés — Tristock, Tallinn Directors Club, AS Framm et Novaria Consult. “La HRAEPS-candidate [Haute représentante de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, NDLR] a rempli sa déclaration d’intérêts comme demandé et elle est maintenant en cours d’examen parlementaire”, a indiqué son équipe de transition à POLITICO.
Liens avec le secteur privé
La Roumaine Roxana Mînzatu, désignée vice-présidente exécutive chargée des Personnes, des Compétences et de la Préparation, a fondé un cabinet de conseil en avril 2021 pour aider les entreprises à accéder aux fonds de l’UE, entre ses postes de ministre des Fonds européens en 2019 et de secrétaire d’Etat chargée des Programmes financés par l’UE entre décembre 2021 et juillet 2024.
Elle a transféré l’intégralité de la propriété de la société en février 2022, juste avant d’assumer le rôle de secrétaire d’Etat, selon des documents obtenus par POLITICO. Bien qu’elle ait annoncé une suspension d’activité à partir de janvier 2022, la société a enregistré des bénéfices en 2023, que Mînzatu n’a pas déclarés. Au moment de la publication de cet article, Roxana Mînzatu n’avait pas répondu à une demande de commentaire.
La Portugaise Maria Luís Albuquerque en a fait tiquer plus d’un dans son propre pays étant donné la facilité avec laquelle elle passe du secteur privé à des postes clés au sein du gouvernement. Albuquerque ne s’en cache pas dans sa déclaration, fournissant aux parlementaires une description générale de ses expériences antérieures dans des entreprises. Elle a toutefois omis de donner plus de détails sur la structure de l’actionnariat ou sur les revenus de sa propre société de conseil, Roundatmosphere. Détenue par elle et son mari, l’entreprise a généré 170 000 dollars en 2023 et 132 000 dollars en 2022, selon les données financières fournies par Informa. Contactée pour un commentaire, l’équipe de Maria Luís Albuquerque a confirmé que la déclaration avait été déposée et qu’elle était en cours de traitement par le Parlement, ajoutant qu’il ne serait “pas approprié de commenter des fuites ou des spéculations” dans l’intervalle.
Biens connectés
Le Luxembourgeois Christophe Hansen, potentiel commissaire à l’Agriculture, entretient des relations avec des personnalités de haut rang. Sa femme travaille comme assistante au cabinet de la présidente du Parlement européen, Roberta Metsola, et son cousin est le ministre luxembourgeois de l’Agriculture — bien qu’il n’ait pas déclaré ce dernier élément, les commissaires n’étant tenus de divulguer que les détails concernant les conjoints et les enfants.
Les bovins, il semblerait que la famille a ça dans le sang, puisque Hansen est président d’une association d’élevage de petits animaux (Union des sociétés avicoles du Grand-Duché du Luxembourg) depuis 2015. Il a promis de démissionner s’il était nommé. Au moment de la publication, Christophe Hansen n’avait pas répondu à une demande de commentaire.
L’Espagnole Teresa Ribera, vice-présidente exécutive pour une Transition propre, juste et compétitive, est bien introduite dans les cercles internationaux du climat. Avant et pendant son mandat de ministre espagnole de l’Energie et de l’Environnement, elle a travaillé avec plus de 10 ONG internationales, think tanks et agences spécialisées sur les enjeux de climat et d’environnement. Contactée pour un commentaire, l’équipe de Teresa Ribera s’est contentée de confirmer que sa déclaration d’intérêts a bien été envoyée.
Le Lituanien Andrius Kubilius, commissaire à la Défense et à l’Espace, a cofondé en 2019 le “Friends of European Russia Forum”, qui soutient l’opposition et la société civile en Russie. Il est également membre d’une association qui se montre très critique à l’égard de la Chine. Kubilius a également été membre du conseil international de conseillers de l’International Republican Institute de 2016 à 2019. L’IRI est un groupe à but non lucratif qui reçoit des fonds du gouvernement fédéral américain pour aider les pays à développer les mécanismes de la démocratie. Au moment de la publication, Andrius Kubilius n’avait pas répondu à une demande de commentaire.
Avant d’être choisie comme commissaire par la Slovénie, Marta Kos travaillait pour le cabinet de lobbying bruxellois Kreab en tant que conseillère senior et possédait sa propre société de conseil enregistrée en Suisse. Bien qu’elle ait précédemment déclaré qu’elle ne se considérait pas comme une lobbyiste, Kos cite l’UEFA, l’instance dirigeante du football européen, comme l’un de ses clients pour des missions de “plaidoyer” en 2021 au niveau de l’ONU “et de ses organes les plus pertinents”. La Slovène, qui pourrait superviser le processus d’élargissement, n’a pas déclaré volontairement que son mari est le “Monsieur Europe” suisse Henri Getaz, ancien secrétaire général de l’Association européenne de libre-échange (AELE). Au moment de la publication, Marta Kos n’avait pas répondu à une demande de commentaire.
Nektaria Stamouli a contribué à cet article.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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